"La bicyclette tue plus que tout ce qui vous fait peur". Oh le joli titre. Oh l’appeau à trolls. On dirait un titre fait exprès pour appâter le chaland, pour le titiller, le brosser dans le sens du poil, le faire réagir. L’article (ici, la version pour les abonnés), paru dans Le Point le 27 janvier, est signé Didier Raoult, un scientifique reconnu si l’on en croit sa fiche Wikipédia.
En voici quelques extraits : "En 2013, la bicyclette a tué en France 164 personnes et en a blessé près de 4 000. Elle bénéficie pourtant de la bienveillance des autorités". Suit ce curieux passage qui compare la pratique du vélo à tous les fléaux de l’univers :
En un mois, le vélo aura tué en France (continentale), plus que la crise de la vache folle, la grippe aviaire, Ebola, le bioterrorisme, le Chikungunya, le Sras et le coronavirus du Moyen-Orient en 20 ans. La mortalité en bicyclette représente plus du quart de celle par homicide! Le vélo est de loin le moyen de transport au kilomètre le plus dangereux.
10 sous dans la machine. M. Raoult, par ailleurs climato-sceptique, remet une pièce dans la machine du "vélo tueur". En décembre, un sondage commandité par l’assureur MMA, révélait que 88% des personnes circulant à vélo au moins une fois par mois avaient déjà commis une infraction au Code de la route. "Les cyclistes font n’importe quoi" s’étaient empressés de titrer quelques médias. (Explications ici : les 10 raisons pour lesquelles les cyclistes commettent des infractions).
4080 accidents, 1344 hospitalisés, 147 décès. Prenons plutôt les chiffres. En 2013, selon le bilan de sécurité routière publié par le ministère de l'intérieur, 147 personnes (et non 164) sont mortes d’un accident de la circulation alors qu’elles circulaient sur un vélo. Bien sûr, ce n’est pas le vélo qui a tué ces personnes, mais elles ont été, dans 118 cas sur 147, percutées par un véhicule motorisé alors qu’elles circulaient à vélo. 19 personnes se sont "tuées toutes seules", décédées suite à un accident n'impliquant aucun autre usager. Ce ne sont d’ailleurs jamais les objets eux-mêmes qui sont responsables d’accidents, mais les êtres humains qui les manipulent. Toujours en 2013, 4080 accidents impliquant un vélo ont été déclarés à la police, mais 1344 personnes (et non 4000) ont été hospitalisées.
La moto bien plus dangereuse que le vélo. M. Raoult se focalise dans son article sur le risque couru par les adolescents entre 15 et 17 ans. "70 décès sur 131 concernaient les deux-roues, dont 5 en vélo", s’agace-t-il. "On peut donc en conclure que si 5 adolescents sont morts à vélo, il y en a 65, soit treize fois plus, qui sont morts suite à des accidents de deux-roues motorisés et 61 qui sont morts dans des accidents d'autres véhicules (ou à pied, peut-être)", observe Yves-Luc Boullis, de l’association Pau à vélo.
Mais curieusement, poursuit le militant, le fait que "les deux roues motorisés tuent bien plus de gens que le vélo ne semble pas émouvoir notre auteur". Et M. Boullis de citer l’éminent scientifique dans le texte : "La peur peut avoir un fondement rationnel, mais aussi être déconnectée de la réalité. C'est la raison pour laquelle il est nécessaire de constituer un classement des risques afin de ne pas être bouleversé par les dangers spectaculaires mais exceptionnels". On ne saurait mieux dire.
Piéton vs. cycliste. Les cyclistes seraient-ils par ailleurs responsables du décès de piétons ? Certains l’avancent, en particulier parmi les commentateurs de ce blog. Examinons les chiffres, à nouveau. En 2013, 465 personnes ont trouvé la mort dans des accidents de circulation alors qu’elles circulaient à pied. 0,2% d’entre elles sont décédées suite à une collision avec un cycliste. C’est-à-dire exactement une personne.
L'année précédente, en 2012, la route a tué 489 piétons, dont 0,4%, soit exactement 2, sont décédés suite à une collision avec un cycliste. En 2011, sur les 519 piétons tués, c'est la même proportion, 0,4%, soit toujours 2. On ignore les circonstances exactes de ces accidents. Ont-ils eu lieu en ville ou à la campagne, le jour ou la nuit, sur un aménagement protégé ou non ? L’un des deux usagers était-il en infraction, voire les deux ? On ne sait pas, même si on peut constater que la responsabilité du conducteur le plus rapide est souvent engagée.
Baisse de la mortalité. Ce que l’on sait, en revanche, c’est "la baisse constante du nombre d’accidents mortels à vélo depuis les années 1960", comme le constate Sébastien Torro-Tokodi, de l’association Droit au vélo, à Lille. La courbe est en phase avec celle des accidents de la route, comme on peut le voir dans cet article de Libération. On sait également, à rebours de ce que l'on croit généralement, que les accidents de vélo sont plus mortels en dehors des agglomérations que dans les villes (à ce sujet, une carte publiée par Terra Eco qui répertorie tous les accidents).
Accidentologie, une foire aux fantasmes :
Alcool, vitesse, ceinture : florilège d'idées reçues sur la sécurité routière (décembre 2014)
Accidents d'avion : le mythe persistant de la loi des séries (juillet 2014)
Le tramway tue entre 2 et 8 personnes par an (décembre 2013)