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A pied, le long des voies, dans un tunnel ferroviaire : « j’étais inconsciente »

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Corinne, 43 ans, institutrice à Moulins (Allier) et mère d'une petite fille, est une femme posée et responsable. Pas le genre à prendre des risques inconsidérés. Pourtant, à l'adolescence, la jeune femme a plusieurs fois mis sa vie en danger, en parcourant, à pied, un tunnel ferroviaire d'un kilomètre de long, alors que des trains circulaient sur la voie à vitesse soutenue.

Corinne se souvient "du souffle de la locomotive, du bruit du convoi" lorsqu'il passait à quelques centimètres de son visage. "En une demi-heure de trajet, nous étions rattrapés par trois ou quatre trains", témoigne-t-elle. Elle était alors accompagnée de plusieurs jeunes de son âge, filles et garçons, et tous s'abritaient, dès qu'un grondement se précisait, dans l'un des refuges en pierre creusés à intervalles réguliers dans la roche.

Le défi : une soirée en Espagne. La scène se déroulait à la frontière franco-espagnole, dans le tunnel des Balitres, entre Cerbère (Pyrénées-orientales) et Portbou (Catalogne). "Dans les années 1980, mes parents louaient une maison à Cerbère pour le mois d'août", relate Corinne. Les familles se retrouvaient, les adolescents sympathisaient, on croisait les garçons du village à la plage. Trois ou quatre fois durant l'été, généralement un vendredi ou un samedi, les jeunes se lançaient un défi : passer une soirée en Espagne.

"A Portbou, la bière était moins chère, on pouvait en boire trois pour le prix d'une seule en France. On mangeait des tapas et on se baladait le long de la mer. C'étaient finalement les mêmes choses qu'à Cerbère, mais c'était en Espagne. On jouissait du plaisir d'avoir franchi une frontière clandestinement", raconte aujourd'hui l'estivante. La route entre Cerbère et Portbou, tortueuse et escarpée, mesure 6,5 km, d'après le site ViaMichelin. Aucun jeune ne détenait alors le permis de conduire et il aurait de toutes façons fallu emprunter une voiture aux parents.

Trois groupes se suivaient. Restait le tunnel ferroviaire, direct et rapide, et pratiqué de longue date par les gars du coin. "Dans notre petite folie, nous étions très organisés. Un premier groupe partait devant, chargé de repérer d'éventuels dangers. Un second groupe suivait et un troisième fermait la marche, chargé d'avertir tous les autres si un train se présentait", raconte notre témoin. En cas d'alerte, il fallait courir, gagner le refuge de plus proche et s'y blottir en attendant que le train soit passé. A la sortie du tunnel, on devait encore déjouer l'attention de la Guardia civil, des policiers espagnols tenant leur fusil en bandoulière. "En général, quand on arrivait, j'étais prise d'un fou rire nerveux", se souvient Corinne. Une fois à destination, la petite troupe s'égayait dans les bars de la petite ville. "Los servicios, por favor", demandaient-ils aux barmen, afin de pouvoir nettoyer leurs chaussures maculées de poussière dans les toilettes.

L'escapade, régulièrement pratiquée par les jeunes de la région, ne s'est jamais traduite, à Cerbère, par un accident grave. Tout au plus a-t-on comptabilisé quelques égratignures lorsque le groupe se précipitait un peu vite dans un refuge. Mais ce n'est pas toujours le cas. Il arrive que des piétons, comme ici à Albi, là à Cestas (Gironde), ou encore en Lorraine, soient happés par une locomotive.

60 morts par an. L'accident est rarement le fruit du hasard. Plutôt l'inconscience. Le piéton traversait ou longeait la voie, sans intention suicidaire, en faisant sans doute très attention, comme Corinne et ses amis. Les compagnies ferroviaires, la SNCF et Réseau ferré de France, l'établissement public chargé des voies, déplorent environ 60 décès par an. Elles mènent régulièrement des campagnes, comme ici sur la Côte d'Azur.

L'institutrice raisonnable, aujourd'hui, n'est pas spécialement fière d'avoir mis sa vie en danger. Si elle devait conseiller un jeune inconscient, elle lui recommanderait formellement de ne pas s'aventurer dans un tunnel ferroviaire à pied. "Même si je comprendrais son envie de faire des choses un peu limite", dit-elle. Corinne a raconté l'histoire à sa fille il y a quelques jours, "mais je n'en ai encore jamais parlé à mes parents", confie-t-elle.

 


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